Tuesday, May 24, 2011

Nuit et Brouillard...

par Berenika Bratny pour Academia Liberti

"J’étais là-bas. J'ai senti que j'allais exploser. Je ne sais pas quoi dire,” — a écrit quelqu’un sur facebook après être revenu de la foire aux chevaux de Skaryszew. Je me sentais de même. Ou même pire. La seule question que j’avais en tête pendant ces 7 longues heures était: “Pourquoi? Pourquoi quelque chose de tel est-il encore possible?” La même question que je m’étais posée après la visite du musée du camp de concentration d’Auschwitz.
Lorsque j’avais une vingtaine d’années je voulais écrire une thèse sur l’ Holocauste. J’ai lu tous ces horribles livres et j’ai ressenti que j’étais incapable de comprendre ce sujet. Il m’était impossible de faire entrer ce monde diabolique dans mon esprit. Je me suis résignée. Ces 7 heures à la foire aux chevaux m’ont fait ouvrir les yeux. Je pourrais écrire ma thèse maintenant.

Pendant la guerre, dans le ghetto de Varsovie, il y avait l’Umshlagplatz — un endroit ou tous les juifs étaient rassemblés pour être déportés. En fait il existait deux types de déportations— L’une allant directement aux chambres à gaz et l’autre menant vers des camps de concentration prolongeant leur vie quelques temps tout en en faisant une torture encore plus grande. Il n’y avait pas d’échapattoir à cette place. Ils restaient là, Des milliers tous les jours, calmes et tranquilles, attendant leur tour. Ils savaient. Et ceux qui les regardaient? Qui les frappaient s’ils essayaient de bouger? Qui les comptaient et qui les poussaient pour en entasser le plus possible dans les wagons? Qui étaient ils?
Maintenant je sais. J’étais sur l’Umshlagplatz des chevaux à la foire de Skaryszew. J’ai vu ces têtes. Il n’y a aucune différence, croyez moi. Des milliers de personnes, grasses ou maigres, jeunes et vieilles, femmes, enfants, hommes. Prenant tous du plaisir à être là. Des hommes avec d’épais bâtons dans les mains tirant les chevaux par la bouche (les mors étant l’objet de luxe le plus délicat que l’on puisse trouver là, il s’agissait généralement d’une chaîne ou d’une corde placée dans la bouche des chevaux) saisissant leurs croupe pour jauger la dose de graisse, frappant avec des cravaches “pour les voir bouger” ou plaçant leurs enfants sur leurs dos pour qu’ils “se fassent plaisir.” Vous pouviez voir des adultes montant des poulains — “Pourquoi pas, ils sont déjà morts ”.



Cet holocauste de chevaux se trouve au milieu de la ville de Skaryszew, qui en fait la publicité comme étant sa belle tradition. Le maire de la ville est également présent. Il vient accompagné d’un orchestre et discourt devant les masses de visages avinés portant des chapeaux de cowboys. Il parle de... l’amour des chevaux dans notre pays. La télévision est là aussi. Plus tard, dans le journal télévisé on verra des images d’une foule bigarrée, un fond sonore musical enlevé et de mignons petits poneys ainsi qu’un vieux monsieur moustachu qui déclare qu’il aime tant les chevaux qu’il va continuer à en élever même s’il ne rentre pas dans ses frais. Nous pouvons être fier de cette tradition — annonce le journaliste et j’ai envie de frapper ma télévision.
La pire des choses que j’aie découverte là-bas me fait perdre espoir. Ca me fait hurler. Aucun des chevaux présents sur toute la foire ne se rebelle ! Ils sont tous tranquilles, tout calmes, attendant leur tour. Ils savent. J’ai compris ce que cela signifiait plus tard, après avoir accusé le coup — cela signifie le travail à coups de fouets, de chambrière ou autres instruments. Cela signifie que la bête qui sommeille en l’homme sait très bien comment contrôler un cheval, comment le frapper ou l’effrayer afin de le soumettre. La bête gagne le jeu. Pourquoi ces gens choisiraient ils un autre moyen? Ils ne le feront jamais parce qu’ils savent ce qui fonctionne le mieux — la violence.
Certains chevaux sont si déprimés qu’ils ne se rendent même plus compte de ce qui se passe autour d’eux. Certains sont si effrayés que je n’oublierai jamais leurs yeux exorbités et l’odeur de leur sueur mélangée à l’odeur de la viande grillée des frites et d’autres plats préparés dans des stands au milieux d’autres où l’on trouvait du matériel d’équitation, éperons, mors et bien sûr cravaches. Les cravaches étaient partout. Tout le monde portait un chapeau de cow boy (certains étant même excentriques roses ou rouges “pour le fun” comme tout le reste ici) et un fouet dans les mains. Il y a les longues chambrières et les petites cravaches, il y a celles avec les rubans dorés ou les pompons roses — pour les enfants je suppose.
Vous souvenez-vous de ce monstre répugnant du livre de Swift? Cette bête à l’allure humaine qui rognait la viande et qui attendait avec impatience de tuer un cheval en guise de vengeance ? Eh bien cette bête existe vraiment, elle est là — à la foire. Multipliée par milliers.



J’étais aussi effrayée que si j’avais été en enfer pendant ces 7 heures. Je n’ai jamais eu autant d’adrénaline dans le corps. Ils n’ont pas été agressifs envers moi, non, j’étais de leur espèce, peut-être un peu bizarre avec mon appareil photo et mon équipement étrange, mais quand même humaine, comme eux. Et j’ai ressenti, pour la première fois de ma vie, une telle honte à faire partie de l’espèce humaine; C’était une visite en enfer. Je voulais m’évaporer, je voulais mourir.
Maintenant l’autre facette. Ceux qui sont venus parce qu’ils ont eu connaissance de notre action “Les photographes contre les abus envers les chevaux” — pour rendre compte de cette misère, pour faire des photos, pour montrer au monde ce que cela signifie vraiment d’être un cheval dans une foire de chevaux. Trois filles de Wrocław ayant voyagé pendant 24 heures sans dormir pour être là avec leurs appareils photos. N’ayant aucune peur de traverser la foule pour faire des photos. D’autres jeunes gens venus de Varsovie, bardés d’équipements de prise de vue électroniques, restés sans voix devant ce qu’ils avaient sous les yeux. Et une journaliste d’un magazine équestre, qui était là uniquement pour acheter un harnais pour son cheval. Mais qui a finalement décidé de se joindre à nous, elle est venue, faisant des photos et a écrit un superbe article intitulé “Ils ressentent tant de douleur.” Et ces autres photographes professionnels aucunement effrayés de venir là, parmi ces bêtes aux bâtons, et risquant leur appareils photos (ou leur têtes s’ils étaient attaqués)uniquement pour prendre des clichés pour notre exposition. Des membres d’une association de protection des animaux, venus pour prendre des photos mais qui n’ont pas pu nous aider et ont finalement acheté une jument — Ils n’avaient les moyens de n’en sauver qu’une et ils avaient de quoi choisir.
Aujourd’hui je regarde les clichés que nous avons pris et je me demande ce que j’ai vu. La face diabolique des hommes — le plaisir de voir l’agonie chez les faibles et les nobles créatures, le plaisir du pouvoir sur un animal qui représente la liberté, le plaisir d’infliger de la douleur et de causer la mort. La bête au fier regard de conquérant sommeillant en l’homme. Mais d’un autre côté je revois encore ces trois jeunes filles qui ont pris le train et ont risqué gros en s’avançant dans la foule ivre. Elles n’ont jamais hésité. Elles l’ont fait “pour les chevaux” comme elles disaient.
Quand nous avons finalement quitté cet enfer, nous étions assis dans la voiture, en silence, et en essayant de retenir nos larmes. Il y avait un 4x4 Range Rover luxueux en face de nous et d’élégants propriétaires charriant du matériel d’équitation acheté à la foire. L’homme tenait un appareil photo. Mon ami lui demanda “Que pensez-vous de notre action pour stopper cette violence?" “Quelle action?“ — demanda-t’il en haussant les épaules. Il avait un appareil photo pour prendre des clichés de pieds de chevaux, c’est tout.

Y a-t-il un espoir pour les chevaux? Je prie pour cela tous les jours.
Et pour l’espèce humaine? Je ne sais pas...


Saturday, May 21, 2011

“Un cadavre dans le placard”

par Berenika Bratny
pour Academia Liberti

Je me rappelle une petite fille dans le village dans lequel j’habitais avec mes chevaux il y a des années. Elle aimait mon troupeau et passait la majeure partie de son temps dans le parc. Elle marchait, trottait et galopait avec les chevaux, elle mangeait même de l’herbe. Sa mère était terrifiée, particulièrement lorsqu’elle voyait sa fille sous Dukat, mon grand hongre, en train de lui gratter le ventre. Elle essayait de le protéger des mouches comme elle tentait d’expliquer.
Elle savait tout d’eux. Lorsque je venais prendre Dukat pour une ballade elle me mettait en toujours en garde: “Il est d’assez mauvaise humeur, vous feriez mieux de le laisser tranquille”. Je ne la comprenait pas à cette époque. Elle aimait mes chevaux et me détestait de tout son cœur. Parfois lorsque je montais, elle me suivait sur son vélo rouge, ne décrochant jamais un mot, ne répondant jamais à mes questions, me regardant seulement en fronçant les sourcils. Comme si elle essayait de protéger Dukat contre moi. Cela me lassait et j’essayais de gagner sa sympathie, je lui ai demandé si elle voulait monter à cheval. “Pourquoi devrais-je faire cela?” — me demanda-t’elle horrifiée. Je ne comprenais pas alors. Les années ont passé, j’ai déménagé avec mes chevaux, Dukat s’en est allé, je ne monte plus à cheval. Parfois, lorsque je me rappelle cette petite fille je suis si stupéfaite — elle savait tout ce que je sais maintenant. J’ai dû étudier si dur, lire des tonnes de livres, vivre avec mes chevaux durant des années pour me poser la même question que celle que me posait cette enfant: “Pourquoi devrais-je faire cela?”. Elle aimait les chevaux, elle les observait et elle était capable de comprendre les messages qu’ils lui transmettait parce que son coeur était grand ouvert et qu’elle ne connaissait rien du système dans lequel j’étais née, dans ma famille où tous étaient cavaliers.
Il y a une expression polonaise que l’on pourrait traduire par “Un cadavre dans le placard” signifiant que les vieux souvenirs que l’on pensait enfouis, ressurgissent au plus mauvais moment, nous déstabilisant totalement. En fait ma vie avec les chevaux est pleine de ces “cadavres”: mon anxiété habituelle lorsqu’Alaska ne me laisse pas lui passer un licol, ma nervosité quand Amigo saute en l’air joyeusement parce qu’il m’a vue, le fait de ne pas savoir quoi faire lorsque le maréchal tire la queue de Furia pour la faire bouger, mes problèmes pour expliquer pourquoi je dis “non” quand quelqu’un veut m’offrir son “aide” pour faire quelque chose avec ces “animaux n’obéissant pas aux règles”. Ma mère, une vieille femme de chevaux de l’ancienne école, qui a tout juste déménagé pour revenir vivre avec moi et mes chevaux saute au pied du lit au beau milieu de l’hiver, tout juste vêtue d’un pyjama, pour m’aider à “attraper” mes deux hongres qui marchent tranquillement dans le jardin alors que je les y laisse volontairement pour qu’ils sentent et s’habituent à ce qu’il y a de nouveau. Elle les a vu par la fenêtre, et bien qu’ils marchaient lentement dans les chemins couverts de neige, elle a ressenti l’urgence de les attraper “Un cheval en liberté signifie Danger”, Danger à tel point qu’elle a sauté hors de son lit et s’est précipitée dans les escaliers. Elle m’a vu — calme, versant de l’eau dans l’abreuvoir et a été surprise que je ne “réagisse”pas . Bon, nous avons beaucoup ri de cela ensuite, mais c’était sa première réaction.

Nous devons désapprendre tant de choses, pratiquement toutes les bêtises que l’on nous a enseigné dans les écuries des centres équestres. Et c’est la même chose pour les chevaux. Ils ont aussi leur mémoires, parfois plus marquées par ce qu’ils ont subi par le système que des années libertés. Je crie après mon chien qui aboie vers les chevaux et soudain je réalise que Reja si fière et dominante se transforme en un morceau de fourrure tremblant avec des yeux grands ouverts comme si elle ne me reconnaissait pas. A ce moment je suis devenue semblable à la légion d’humains qui l’a torturée auparavant. Et Alaska, toujours si gentille, attentive et à la recherche de contact avec les humains. Lorsque vient le vétérinaire pour l’examiner et que j’approche avec un licol ou même un cordéo, qui tourne la tête hors de portée aussi loin que possible, mais qui ne bouge pas. Elle est libre, elle pourrait s’enfuir à n’importe quel moment, mais non. A la vue du licol elle se retrouve enfermée dans son esprit, de retour dans cette petite stalle puante avec un oppresseur l’approchant. Elle secoue la tête, la tourne au loin, ferme les yeux et attend. Je dois attendre également, jusqu’à ce qu’elle comprenne que ce n’était qu’un mauvais rêve— “un cadavre dans le placard”. Elle se détend, mâchouille, regarde et nous pouvons à nouveau aller de l’avant. Nous en avons tous. J’envie ceux qui peuvent être aussi frais que cette petite fille qui voyait mes chevaux comme les victimes de mon plaisir et de mon ego il y a tant d’années.
Il y a une femme, Kasia, qui vient me rendre visite pour m’aider de temps en temps. Elle est très calme et n’a jamais eu de contact avec les chevaux auparavant. Mais elle aime tous les animaux. Lorsque j’ai essayé de lui expliquer certaines choses sur la nature complexe des chevaux elle souriait d’une étrange manière. Au début j’étais déçue qu’elle ne veuille pas apprendre. Je pensais: “Ca doit même être dangereux d’être au milieu de chevaux sans savoir comment réagir,”. Mais j’avais tort. Son sourire me rappela alors cette petite fille et je la laissais tranquille. Elle a réussi à les connaitre, un par un, à sa façon, à son propre rythme. Et ils ont aussi apprécié. Lorsqu’ils font quelque chose pour attirer son attention — Renverser une brouette pleine de fumier, saisir sa veste et la remuer dans une flaque d'eau, elle les trouvent extrêmement amusants. Son rire est leur récompense - le truc fonctionne, ils galopent furieusement autour d’elle en levant la croupe et en bottant dans le vide. Elle aime ces démonstrations et n’est jamais frustrée par rien. Elle n’a a apparemment aucun cadavre dans aucun placard.
Et il y a Amigo. Il n’a jamais connu la selle, il n’a jamais été battu ou trompé. Il sait très bien quel est le goût d’un morceau de sucre — C’est tout ce qu’il connaît des humains. Pas grand chose. Lorsqu’il est arrivé chez moi, donné par des propriétaires effrayés par son trop plein d’énergie, il était curieux de tout, tel un enfant. Les années ont passé et il n’a pas du tout changé. Toujours heureux, désireux de jouer, de voler les sacs des visiteurs et de s’enfuir avec, de voler tout ce qui paraît avoir une utilité pour les humains pour leur tourner autour avec son trophée dans le but de les faire crier ou de les voir tenter de lui reprendre. Oh quel plaisir il prend lorsqu’ils le poursuivent en faisant ces drôles de bruits. Parfois il s’arrête, laisse tomber l’objet par terre et veut le mettre en morceaux avec ses sabots. Voulant retrouver le plaisir de voir mon visage virer au rouge(comme la fois où il s’agissait d’un nouveau pull qui se trouvait dans le sac qu’il avait volé). Si fier de lui. Et si étonné lorsque quelqu’un n’est pas content de ses prouesses. Il fait volte face et je peux voir à quel point il est déçu que je n’applaudisse pas.
Alors lorsque je les vois marcher calmement ensemble, Kasia et Amigo, côte à côte, j’envie chacun d’eux. Ils ne savent rien des choses horribles que nous connaissons, le reste du troupeau et moi-même. Elle ne se pose pas de questions sur son envie de la suivre, elle sait qu’il vient toujours avec elle parce qu’à chaque fois qu’elle lui offre quelque chose c’est bon et appétissant. Chaque fois qu’il m’offre sa compagnie je suis si flattée et ma joie est si fragile à cause de mes doutes et mes craintes. J’aime les regarder, une femme fatiguée avec un étalon puissant, et je me demande si je parviendrai un jour à retrouver cette innocence enfantine, est-ce que je parviendrai à oublier le mal que j’ai fait?
Parfois je repense à cette petite fille. Qu’est-elle devenue? Je suppose qu’elle aurait environ quatorze ans aujourd’hui. J’espère que sa folle admiration pour les chevaux ne l’a pas conduite dans un de ces centres équestres, ou elle aurait appris que tout ce qu’elle savait au plus profond de son cœur était faux. J'espère qu’elle a toujours son côté si affirmatif et le courage de demander: ”Pourquoi dois-je faire cela?” Je croise les doigts pour elle.

Friday, May 20, 2011

Atelier pour un changement de vie

par Berenika Bratny
pour Academia Liberti


Une amie a récemment participé à un atelier pour un changement de vie. Elle n’en attendait pas un éclairage particulier, mais espérait seulement une compréhension sur la tension quotidienne. Le premier exercice qu’ils ont eu à faire était de se poser la question suivante — “qui êtes vous?”Les participants parlèrent de leur rôle social comme celui d’être mère ou fille, docteur ou enseignant, de leurs gouts et de leurs aversions, de leur passé, de leur environnement et de leur enfance, ils parlèrent encore et encore jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’ils n’avaient plus rien d’autre à dire — qui êtes vous? C’était là que résidait tout le processus. Ils devaient faire face à un mur blanc et finalement à une disparition de leur ego. C’était assez difficile se rappelait t-elle. La partie la plus dure était d’occulter sa propre notion de ce qu’elle était et de tout ce à quoi elle s’identifiait.
J’ai envié cette expérience alors je me suis posée la même question. Qui suis-je? Qu’est-ce qui m’est le plus cher au point que je ne puisse pas m’en séparer? Mon image de chuchoteur à l’oreille des chevaux? La vision que j’ai de mon cheval, si parfait? L’image de ma si parfaite relation avec ce cheval parfait?
Alors j’ai regardé mes chevaux. Chacun d’eux. Est-ce que je les connais? Qui sont-ils vraiment? Je connais leur statut au sein du troupeau, Je connais leurs goûts et leurs aversions, Leurs jeux favoris et l’endroit ou ils aiment se gratter, leurs humeurs, leurs amis et leur façon de vivre, mais est-ce cela ?
Lorsque quelqu’un vient leur rendre visite, je l’emmène loin du troupeau et parle d’eux sans m’arrêter: "Voilà Reja." Elle a eu une vie difficile pleine d’expériences affreuses avec des propriétaires et des entraîneurs qui ont tenté de la briser mentalement mais sans s’être jamais laisser faire. Ce sera une combattante toute sa vie, préférant mourir plutôt que se rendre. C’est une jument dominante, une jument alpha. Elle n’autorise jamais aucun autre cheval à brouter dans son tas de foin. Elle n’a pas d’amis, seul un hongre qui ne la quitte jamais et avec lequel elle ne communique qu’en montrant les dents et en donnant des ruades. C’est son souffre douleur et son serviteur et elle est la maîtresse et la reine. Son règlement est tyrannique. Elle n’accepte aucun refus de quiconque. Tous les chevaux savent qu’elle peut attaquer telle un requin, sans aucun avertissement, donc tous gardent un œil sur elle. Particulièrement lorsqu’elle est en chaleurs. Et c’est une “féministe” comme l’a un jour appelée mon voisin. Elle déteste Amigo — l’étalon, de tout son coeur. Chaque fois qu’il approche de la clôture, elle l’attaque en montrant les dents et vous pouvez dire que ça lui fait de l’effet, il s’éloigne à chaque fois de la clôture. Une fois, en hiver, j’ai dû la faire passer à côté du paddock dans lequel il se trouvait. Soudain j’ai complètement perdu le contrôle de la situation, elle m’a poussé vers la clôture dans le but de le tuer. Il est resté figé choqué émotionnellement j’imagine puisqu’il n’a pas osé bouger, alors j’ai dû composer pour la persuader de le laisser tranquille. Depuis, lorsqu’il se produit un situation similaire où j’aie à l’amener proche de la clôture, je dois lui mettre un licol. C’est une situation dangereuse. Pas pour elle, pour lui.
Voilà comment je la vois. C’est aussi telle que tout le monde la voit après avoir raconté cette histoire effrayante. Alors elle arrive. Les yeux mi clos, de bonne humeur, elle présente son arrière main pour se faire gratter et mon visiteur sursaute de terreur. Qu'est-ce qui ne va pas ? Reja est surprise. Il est surpris lorsque je commence à gratter sa croupe. « Est-ce que ce n’est pas dangereux ?” — demande-t'il. — "Bon c’est dangereux de ne pas la gratter lorsqu’elle le demande," — dis-je en plaisantant mais je le vois devenir nerveux. Mais aujourd’hui Reja est quelqu’un d’autre. Elle est endormie, recherche des gratouilles et beaucoup d’attention, elle veut même faire un bout de chemin avec nous mais sentant la peur du visiteur elle s’éloigne déçue. Après un moment nous la voyons panser la plus jeune jument du troupeau, celle qui a le rang le plus bas dans la hiérarchie du troupeau. Alors qui est Reja ? Est-ce que je la connais vraiment ?



Il y a une autre histoire, celle de mon premier cheval Dukat qui est mort il y a trois ans. J’étais allée dans un centre équestre pour y acheter une selle. Lorsque je suis rentrée dans les écuries, la seule chose à laquelle je pensais était de m’en aller. C’était une vieille étable construite pour des moutons, donc très sombre, bas de plafond, sans air. Et les chevaux étaient tous attachés avec des chaînes tendues autour du cou. La plupart d’entre eux étaient si abattus qu’ils n’ont même pas levé la tête pour voir qui venait. Il y avait néanmoins quelqu’un de vivant là-dedans ; Dukat attrapa ma manche et ne la lâcha pas avant que j’aie demandé au propriétaire s’il était prêt à me le vendre. Je ne savait même pas si c’était un hongre ou une jument avant de décider qu’il devait venir avec moi. Je ne savais pas non plus que c’était le plus grand cheval du monde. Je mesure 1m60, nous avions l’air vraiment amusants ces années là, lorsque je le montais. — une fourmi chevauchant un éléphant. Je l’ai eu pendant des années, vivant à un endroit, déménageant ensuite pour un autre. Son troupeau a grandi et il était le fier chef des parcs et des prés. Il était toujours un adorable animal calme, tranquille et pardonnant. Toujours. Mais pendant notre première année ensemble, lorsque j’écoutais tous les “professionnels” alentours et dévorait tous les livres sur la psychologie équine il était:
1. trop dangereux (à cause de sa taille);
2. trop fier (à cause de sa taille);
3. trop paresseux (à cause de sa taille);
4. très intelligent;
5. réfléchissait lentement;
et ainsi de suite.
C’était toujours le même Dukat mais dans mon esprit il avait tous ces qualificatifs parce que quelqu’un l’avait suggéré ou que je projetais mes peurs sur lui ou que je voulais qu’il soit comme cela. Maintenant qu’il est parti, je sais que ça n’avait aucune importance de comment je l’avais qualifié, il était tout simplement lui-même. Les chevaux sont ce qu’ils sont, sans jugement sur eux-mêmes. Ils sont le miroir de nos espoirs, de nos peurs et de nos rêves. Un miroir de nous-mêmes.
Maintenant je passe ma vie à examiner le comportement et l’humeur de mes chevaux et je ne les connais toujours pas. J'ai dû abandonner l’idée d’une relation idéale avec Reja. J’ai dû admettre qu’elle ne m’aimerait jamais après tout ce que je lui ai fait par le passé, lorsque je la montais. J’ai réalisé cela et, à ma grande surprise, ce fut une révélation. Son attitude a également changé. Peut-être ne sent elle plus ma tension et le poids de mes attentes. Peut-être a-t’elle eu elle aussi une révélation ?
Après l’expérience de cet atelier pour un changement de vie, mon amie a fait un rêve ;— un enfant faisait des châteaux de sable sur la plage. Dans ce rêve mon amie réalisa qu’elle avait trouvé la réponse à la question “qui êtes vous?” — elle était un château de sable. Alors une vague l’emmena. Elle était terrifiée à l’idée de disparaître et après un moment elle était un autre château de sable, puis un autre et encore un et soudain il n’y avait plus de différence — elle était à la fois le château de sable, le sable et l’eau qui l’emmenait. Et soudain elle sut —elle était tout, elle était la vie même.
Peut-être que nous et nos chevaux sommes la même chose, uniquement des petites particules de vie, Les vagues et la mer, les châteaux de sable construits un après-midi ensoleillé? Un jour Reja est une jument agressive qui souffle par les naseaux, le jour suivant elle est allongée dès les premiers rayons du soleil et me laisse m’asseoir à côté d’elle et à respire au même rythme qu’elle. Je me sens honorée. Elle est juste elle-même, ne correspondant à aucune description, ces descriptions que font les humains pour comprendre le monde. Les Animaux n’ont pas besoin de cela. Ils n’ont pas besoin de comprendre le monde, ils SONT le monde, ils sont l’air qu’ils respirent et l’herbe qu’ils mangent. C’est seulement nous qui somment coupés du reste du monde et qui avons besoin d’explications pour chaque chose. J’ai réalisé que ma vie avec les chevaux était mon atelier pour un changement de vie. Je change, ils changent, nos vie changent en même temps, ou est-ce seulement un rêve?